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Covid-19
et creusement des inégalités scolaires : une dette éthique à l’égard des enfants

Billet éthique par Pr Roger GIL, Directeur de l’Espace de Réflexion Ethique, Régional Nouvelle-Aquitaine.

Le 4 décembre 2020 un billet éthique proposait une brève revue de la littérature scientifique montrant que si les enfants résistaient au SARS-CoV-2, ils étaient par contre victimes de conséquences collatérales de la pandémie, non seulement en termes d’avenir social mais aussi en termes d’espérance de vie, et ce, aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays de l’OCDE. Le Covid 19 a donc frappé les plus vulnérables soit directement soit indirectement. Il a frappé les personnes âgées en menaçant leur pronostic vital mais aussi les personnes obèses, diabétiques, hypertendues ou atteintes d’affections cardiorespiratoires. Il a frappé aussi les personnes âgées en ehpad de manière indirecte en raison des mesures de confinement, parfois doublées d’un isolement en chambre qui précipita certains dans un glissement aboulique vers la mort. Mais il a aussi frappé de manière indirecte les jeunes générations privées de scolarisation, cet outil essentiel à l’apprentissage d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir-qui donnent à chaque enfant la chance de cheminer vers son accomplissement. Cet éloignement des enfants ne concernait pas la préservation de leur propre santé mais la crainte qu’inspirait le risque de contamination de personnes adultes, notamment des personnes atteintes de comorbidités ou âgées, ce qui faisait volens nolens des enfants des agents ayant leur part de responsabilité dans la progression de la pandémie. Le 22 janvier 2021, la Banque mondiale rappelait que « face aux conséquences de la COVID-19 sur l’éducation, il faut agir vite et efficacement ». En avril 2020, 94 % des élèves de la planète — soit 1,6 milliard d’enfants — n’allaient plus en classe en raison de la fermeture des écoles. Au mois de janvier 2021, ils étaient encore environ 700 millions à étudier à la maison. Il revenait aux parents d’aider leurs enfants à faire les exercices et les devoirs proposés par un enseignement en ligne qui nécessitait des ressources et des compétences numériques, déficitaires ou absentes dans les milieux les plus défavorisés. En France certains parents ont inscrit leurs enfants au Centre National d’enseignement à distance ; d’autres parents ont pu assister efficacement leurs enfants mais on observait comme ailleurs un décrochage scolaire dans les milieux les plus humbles. Une équipe de recherche internationale de psychologie vient de publier un travail proposant un modèle intégratif permettant de comprendre comment les fermetures d’écoles exacerbent les inégalités scolaires liées à l’origine sociale. Il apparaît ainsi que la classe sociale est associée avec un accès inégalitaire aux outils numériques, avec une familiarité inégale à l’égard de ces outils, et avec des connaissances inégales sur l’utilisation pédagogique de ces outils, ce qui constitue une triple fracture numérique. Les parents appartenant aux classes moyennes et supérieures sont susceptibles d’apporter une aide plus efficace à leurs enfants que les parents de classes défavorisées : la fermeture des écoles aggrave ainsi les écarts d’apprentissages que l’éducation scolaire a pour mission d’atténuer. En France par exemple les résultats de l’évaluation nationale des élèves à la rentrée scolaire de CP et de CE1 ont montré que l’écart qui existait avec la pandémie entre les élèves des écoles d’éducation prioritaires et les élèves de territoires plus aisés s’était aggravé en 2020 par rapport aux années précédentes tant en français qu’en mathématiques.
Sur le plan du bien-être et de la santé mentale de très nombreuses études internationales ont montré que le confinement, la fermeture des établissements scolaires, les mesures de distanciation sociale effet capital, au cas où une nouvelle pandémie surviendrait de préparer les mesures aptes à contrecarrer les conséquences délétères de mesures sanitaires. Mais le chantier est immense : il faut en effet se mettre résolument en marche vers une résorption de la fracture numérique tant dans la couverture de tous les territoires de la république par internet que dans l’équipement des foyers ; il faut former de mieux en mieux les professeurs d’école et du secondaire à l’apprentissage numérique (e-learning) avec des « travaux pratiques » réalisés avec les enfants ; il faut mettre en oeuvre une politique de promotion volontariste et déterminée de masques dits inclusifs qui ont hélas été négligés. Certes les personnes malentendantes (y compris les enfants) ont vite compris qu’elles pouvaient ainsi conserver la lecture labiale ; ces masques doivent aussi être utilisés le plus possible chez les personnes autistes qui ont des difficultés pour repérer dans le regard les émotions secondaires ; ils auraient pu être proposés plus largement aux résidents d’ehpad atteints de maladie d’Alzheimer; ils doivent être largement proposées aux enfants pour leur faciliter l’accès à la reconnaissance des visages, aux émotions qu’ils portent, ces visages dont Lévinas disait qu’ils étaient l’épiphanie de la personne. Comme on le voit, il y a du pain sur la planche. Mais le fera-t-on ? Il s’agit pourtant d’une dette éthique qui devrait retentir dans la conscience des adultes et des gouvernants comme un « impératif catégorique ».

Article extrait du Mag n°112 - janvier 2022 de l'ANPR

visuel billet ethique
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